Le Christ est la tête, l'Eglise est son corps. Bien.
Encore une image forte qui, à force d'être bigotement rabâchée, devient une nouvelle image d'Epinal façon "la tête et les jambes", "celui qui pense et celui qui exécute", "l'intelligence et la force", poussez encore un peu et vous aurez "la Belle et la Bête"...
Il s'agit de tout sauf de cela. Seule l'idée d'unité, d'indissociabilité, est exprimée par cette "formule". Une tête sans corps et un corps sans tête, nous ramène vivement à l'absurdité d'une coupure entre les deux. Il s'agit bien de vivre entier, de vivre en un seul morceau avec toutes nos facultés.
L'usure du temps, l'habitude des mots, la circularité démoniaque de nos prières, émoussent, ce qui, du temps de Saint Paul, était fait justement pour réveiller, illustrer et frapper les consciences autrement et plus fortement que les tournures frappées, solennelles et hermétiques des pharisiens.
Toucher sans cesse la fine pointe de l'âme, exposer le profond de nos êtres au vent salé des vagues d'Amour infini du Christ, tel est le but et la vigilance de notre vie, toute entière tendue vers cette rencontre qu'elle ne peut oublier quand elle en a fait, ne serait-ce qu'une fois, l'éblouissante expérience.
Ce temps de Saint Paul, c'était le temps juste après l'éveil de l'humanité "accouchée" par Jésus. La tradition juive, endormie de certitudes et rigidifiée dans ses lois et ses traditions, a fait sentir aux premiers chrétiens le caractère étriqué de l'habit judaïque pour contenir ce grand corps christique. A vin nouveau, outres neuves : ainsi est née la religion chrétienne et son Eglise, prolongement de cette tradition juive, accomplissement de la Loi et des Prophètes.
Pourquoi alors, 2009 ans plus tard, sentons-nous à nouveau si fort le besoin d'habits plus grands ? Pourquoi ce que nous appelons "Eglise" nous semble si impropre à contenir à nouveau, l'extraordinaire beauté du Verbe incarné ?
Cette église chrétienne est d'abord nommée par les hommes. A aucun moment de sa vie terrestre, le Christ ne nous a indiqué : "bon les gars, je compte sur vous pour créer un mouvement mondial, avec des chefs et des sous-chefs, une solide organisation, des règles, des sacrements, un catéchisme, etc.." Rien de tout cela ne nous a été donné en héritage mais plutôt "Allez porter au monde entier la Bonne Nouvelle..."
Elle a bon dos l'annonce de la Bonne Nouvelle qu'elle doive aussi matériellement marquer la dimension temporelle pour servir sa dimension spirituelle. Il a bon dos le Paraclet qui nous révèlera en temps et en heure ce que nous pourrons comprendre quand nous en aurons fini avec les nourritures liquides. Rappelons nous que le Christ est venu accomplir : cela veut dire "réaliser la Loi et les Prophètes", passer au-delà. Ecoutons Saint Paul à deux endroits : "Tout m'est permis mais tout ne me convient pas"(1 Cor 6-12 TOB); autrement dit, la Liberté absolue à laquelle je peux accèder est au-delà des "interdits" et des "autorisés" du monde. Encore faut-il que je prête l'oreille à la source qui me libère.
"...nous avons été sanctifiés par l'offrande du corps de Jésus-Christ, faite une fois pour toutes"."Là où il y a eu pardon, on ne fait plus d'offrande pour le pêché". Ces deux extraits sont issus d'un très beau et très profond passage de Saint Paul (Hbrx-10-vs 1-18). Là encore, il ne s'agit plus d'actes de contrition comme issues vers la réconciliation avec Dieu, mais il s'agit surtout de prendre conscience, par couches successives dans nos vies et sous forme d'une joie de plus en plus grande, de l' Amour dont nous sommes aimés. C'est en comprenant à quel Amour nous sommes voués, que le sens de notre vie apparaît et nous pousse avec une force invincible, à nous consacrer toute affaire cessante et sans prendre une minute à progresser sur le chemin de Je Suis.
Pourquoi alors réenfermer dans un outillage devenu complexe et abscons, cette Vérité qui nous rendra Libre ? Pourquoi superposer à nouveau à la simplicité du Christ, un fatras humanoïde et protocolaire impropre à véhiculer cette relation nue, coeur à coeur, avec Celui qui est "la Vie de notre vie" comme dirait Maurice Zundel.
Ne sommes-nous pas en train, au travers de ce que nous appelons Eglise, d'endurcir à nouveau nos coeurs ? Ne nous sentons-nous pas une bien grande proximité et ressemblance avec ceux-là même qui n'ont pas vu en Jésus, le Christ, Messie qu'ils attendaient de tous leurs rites, de tous leurs sacrifices et holocaustes, de toute leur tradition, de toute leur Loi et de tous leurs Prophètes ?
Personnellement, je suis las de lire des encycliques toutes plus belles, profondes et pétries de sens christique les unes que les autres mais dont l'épaisseur et la gravité littéraire amenuisent le vent du large et la proximité des enseignements sur la place publique et au milieu des champs que Jésus pouvait donner, oubliant l'heure du repas et sans avoir pris ni date, ni rendez-vous, sans avoir réservé le lieu et organisé le service d'ordre.
Les chrétiens les plus militants m'objecteront que des mouvements comme les JMJ ou la visite de Benoît XVI à Lourdes étaient des "super moments". Que veut dire" super" ? L'impression vitalisante d'être nombreux et forts, un peu comme dans un stade de foot ? Le sentiment de faire Eglise là, tous ensemble ? A moins que ce ne soit la griserie des messes en plein air qui rompt avec les messes du dimanche si souvent ternes et glacées ?...C'est bien mais ça ne suffit pas.
Mon souvenir le plus fort de ces moments est celui d'un vieil homme baveux et à bout de souffle, beau pourtant dans sa fidélité jusqu'au bout à la charge de son service, "emmené là où il ne voulait pas aller" bien certainement, prononcer devant un immense parterre (toujours à Lourdes) et s'adressant plus particulièrement aux femmes : "Vous êtes les sentinelles de l'Invisible". Jamais rien de plus beau n'a été dit et ne sera dit sur les femmes. Ce gars là s'appelait Jean-Paul II. Ce jour-là j'ai pleuré parce que la Beauté est venue à ma rencontre sous la forme de cet homme. Nue, faible et d'apparence si laide, mais belle, tellement belle avec les yeux du coeur car incarnée malgré la maladie et la vieillesse, malgré les bafouillements inaudibles et les tremblements spasmodiques. Là était le Christ. Là est la Foi, là enfin est l'Eglise.
L'Eglise n'a pas d'autre utilité que de trouver le chemin du coeur : tout le reste est superflu et ne doit pas s'appeler Eglise ou entrer dans sa composition. Le chemin du coeur est étroit, simple, léger. Il est engourdi dans les liturgies déclamatoires, les orgues éclatantes, les ker-messes trop charismatiques. Le Christ ne veut ni être sacré roi temporel au temps des Rameaux, ni être crucifié entre deux voleurs au royaume des morts. Il traverse victorieusement les deux épreuves : il ne sera pas le prochain Président de la République mondiale comme on pourrait presque le pressentir lors de certaines manifestations ultra-charismatiques, il ne sera pas non plus le grand inquisiteur punisseur qui obligera une fillette de 9 ans violée par son beau-père à conserver l'enfant qu'elle porte dans son ventre pour obéir à une "loi" que Dieu lui-même ne donnerait jamais, même en enfer...
Contrairement à d'autres chrétiens, je n'attends pas Vatican III avec impatience ni Vatican XXXVI ou LVII du reste. Je n'attends pas l'Eglise, j'en fais partie et tous mes frères humains en font partie également. L'Eglise c'est l'humanité toute entière. Il ne peut y avoir de carte du club face au Christ. Juste un "oui" donné, même au plus profond du coeur et entendu de Jésus seul, suffit à répondre à l'appel de la Bonne Nouvelle. "Répondez par "oui" ou par "non", le reste vient du démon", dit Jésus lui-même. Ne nous faisons pas croire que les sacrements sont les "passages assurés" entre le monde des pêcheurs et le monde des saints. Qu'un sacrement nous "couvre malgré nous". Un sacrement est effectif à hauteur de notre adhésion. Si notre adhésion est totale, alors chaque sacrement est une rampe qui nous aide à monter l'escalier. Tout le monde n'utilise pas tout le temps la rampe pour monter un escalier. N'oublions jamais également que l'escalier, la rampe et le mur où la rampe est fixé sont "le Chemin, la Vérité et la Vie" dont Jésus dit "Je Suis" (ce Chemin, cette Vérité, cette Vie). Les sacrements sont les outils au service de la Rencontre. Personne n'a jamais vu l'outil faire le travail à la place de l'ouvrier. La pensée précède le geste, l'intention précède la réalisation, le désir de la rencontre précède la date, le lieu et l'heure. Pensée, intention, désir : autant d'impulsions fragiles que l'Eglise, à défaut de susciter, ne doit pas étouffer...
Mais pour pouvoir critiquer aussi vivement l'Eglise il faut l'aimer, c'est à dire lui obéir.
Divorcé, non remarié et vivant seul avec mes enfants une semaine sur deux, par obéissance à un sacrement compris a postériori mais prononcé sincèrement, devant Dieu et pour la vie, par respect profond aussi pour la dignité de mes enfants qui ont été voulus, conçus et accueillis sincèrement dans l'amour d'alors, j'applique la règle du catéchisme catholique. Je peux ainsi communier.
Imaginons un instant que je me sois remarié : finie pour moi l'eucharistie. "L'Eglise catholique accueille les divorcés remariés et les invitent à trouver dignement une place dans la communauté chrétienne" (sic). Un peu rapide et lâche vous ne trouvez-pas ? Qu'aurait fait Jésus à notre place ? Il aurait dit : "va et ne pêche plus" , c'est-à-dire, va et ne te trompe plus toi-même, ne t'égare plus. Sans garantie et sans être sûr d'éviter un nouvel échec. Et pardonner encore, 77 fois 7 fois si le pardon est demandé... Et c'est bien là ce que l'Eglise devrait engager comme travail avec les divorcés remariés : y-a-t-il eu un chemin de fait ? une conscience du sacrement reçu ? Je comprends la "sanction" de la privation de communion mais je crois que nous aimons ce Dieu qui ne peut que se donner car il est tout Amour. Faisons de même et relisons Saint Paul aux Corinthiens 13 -"L'Amour endure tout,...l'Amour ne passera jamais". Soyons à son image.
Et en ce qui me concerne, est-ce par peur des représailles que j'obéis ? Vous l'avez compris je l'espère : non, bien sûr.
Le Christ est au coeur de ma vie, parfois loin, parfois proche à mes yeux, jamais absent. Je ne manque de rien. Il est donc facile d'obéir. Y compris aux injonctions obscures du catéchisme de l'Eglise catholique. Mais que personne ne s'y trompe : c'est parce que le Christ est au centre de mon existence qu'il m'est facile d'obéir, amusé, à ce qui est un moyen et non une fin. En aucun cas, je ne serai capable d'obéir à cette règle du catéchisme si je n'avais déjà dit "oui" au Christ : ce qui voulu pour "inciter à" est en fait une barrière qui ruine la rencontre qu'un divorce (occasion de grande souffrance, donc de grande propension à l'humilité et fenêtre ouverte à une possible conversion) permet dans une vie. Ce moment où l'on se sent vulnérable devrait être utilisé par l'Eglise comme une main tendue, connaissant comme elle est censée le connaître, le caractère rare et précieux de ces moments où la vie nous force à tomber la carapace pour saisir la chance d'une rencontre avec le Christ. Au lieu de cela, elle fixe une règle dure et "débile" (au sens littéral du mot) : elle brandit un interdit en une phrase alors qu'elle devrait proposer un parcours en quelques années pour découvrir un chemin d'une beauté telle qu'il n'est plus besoin de loi et de catéchisme pour le suivre d'un pas léger. Tous les "Vatican" du monde ni changeront rien. "Sans loi, le pêché est chose morte" nous dit à nouveau Saint Paul (Rm-7-8-TOB). Le Christ se passe de catéchisme. Le Verbe passe de souffle en souffle, de vivant à vivant, de bouche à oreille, de témoignage en témoignage, de "je" à "tu" pour faire "nous" , (noos en grec, le souffle).
Ce n'est pas le monde qui est sécularisé, c'est l'Eglise elle-même. Elle est est la cause même de la sécularisation et doit sortir de sa torpeur et de sa gangue rigide pour inventer et créer sans cesse et à la vitesse de la Lumière (puisque le Christ est la lumière du monde) soit 300 000 km/sec. C'est la vitesse du Christ...Ce devrait être la vitesse de l'Eglise.